Résumé :
« Quand le Lapin sortit une montre de son gousset, la regarda et reprit sa course, Alice se leva d’un bond car, en un éclair, elle réalisa qu’elle n’avait jamais vu un lapin avec un gousset et une montre à en sortir. Dévorée de curiosité, elle le suivit à travers champs, et eut juste le temps de le voir s’engouffrer dans un vaste terrier sous la haie. »
Pourquoi Alice s’étonnerait-elle alors de rencontrer chemin faisant une Reine de Cœur, un Griffon, un Chapelier, un Lièvre de Mars ou de prendre le thé chez les fous ? C’est au pays des merveilles que l’a entraînée le lapin blanc, un pays où elle ne cesse de changer de taille, et où tout peut arriver. Un pays que Lewis Carroll met en scène avec une rigueur impeccable dans la loufoquerie. Loin de la mièvrerie du conte enfantin, cette nouvelle traduction restitue au texte anglais toute sa verdeur mathématique.
Ce que j’en pense :
J’ai découvert l’histoire d’Alice au pays des merveilles en regardant le film réalisé par Tim Burton, comme beaucoup d’autres enfants, j’imagine. Je me souvenais encore de quelques scènes cultes (comme le déjeuner avec le Chapelier ou encore la chambre dans laquelle Alice boit et mange toutes sortes de choses qui la font grandir/rétrécir) mais je ne me rappelais plus la totalité de l’histoire. Et c’est en lisant cet article de Light and Smell que je me suis fait la réflexion que ce serait bien si je lisais les deux tomes de Lewis Carroll. Je pensais donc passer un bon moment avec Alice et ses amis, et je ne me suis pas trompée, loin de là. La lecture a été un coup de cœur.
Un livre pour les petits comme pour les grands
Au premier abord on pourrait avoir l’impression qu’Alice au pays des merveilles n’est qu’un livre amusant pour les enfants. Or c’est complètement faux, et c’est ce qui fait toute la richesse du livre. Certes, Lewis Carroll s’adresse à un public jeune (n’oublions pas que son récit est d’abord écrit à l’intention des petites filles Liddell), mais son discours est également destiné à des adultes.
Tout d’abord, comme je l’ai dit, Alice au pays des merveilles est écrit pour les enfants, et je l’ai ressenti très rapidement. L’univers est celui d’un conte de fées : les animaux parlent et sont dotés d’une conscience, des éléments magiques interviennent dans le cours du temps, des objets prennent vie. Ainsi, quand Alice suit le Lapin blanc dans son terrier, c’est tout un monde merveilleux qui nous est exposé. Le pire, c’est que cet environnement dégage une impression de normalité. Alice ne s’étonne même pas de voir le Lapin blanc parler, pas plus que de voir la Reine de Cœur régner sur tout ce petit monde. Je m’attendais à trouver un univers fou, mais j’ai quand même été surprise, car je ne pensais pas que Lewis Carroll pousserait son imagination aussi loin ; son histoire en devient carrément absurde et excessive. Cela m’amène au deuxième point dont je souhaite vous faire part : le récit est porteur de non-sens.
Je ne m’étais pas informée sur ce roman avant de commencer ma lecture, et donc je suis allée de surprise en surprise : je pensais lire la petite histoire sympa et merveilleuse d’Alice, mais j’ai surtout lu un récit totalement incongru, sans queue ni tête. Et ça m’a énormément plu. Je sais que je ne suis pas très claire, donc je vais essayer de m’expliquer : dans son livre Lewis Carroll interroge la vie, le sens qu’on lui donne, et démonte toutes nos croyances pour nous montrer une seule chose : l’existence même n’a pas de sens, rien n’en a (c’est comme ça que je l’ai interprété, en tout cas). Cette idée est mise en valeur par les nombreux questionnements d’Alice, et par le côté irréaliste des personnages. On retrouve beaucoup cette non-logique dans les jeux de mots des protagonistes, et dans leurs dialogues plus en général.
Le passage ci-dessous est un brillant exemple de ce que je viens de vous dire :
-Voudriez-vous me dire, s’il-vous-plaît, par où je dois m’en aller d’ici ?
– Cela dépend beaucoup de l’endroit où tu veux aller.
– Peu importe l’endroit…
– En ce cas, peu importe la route que tu prendras.
– … pourvu que j’arrive quelque part, ajouta Alice en guise d’explication.
– Oh, tu ne manqueras pas d’arriver quelque part, si tu marches assez longtemps.
C’est ce genre de répliques qui m’a fait adorer ma lecture. Alice (et par extension le lecteur) est à chaque fois mise en face de ses propres questions, et des réponses totalement farfelues lui sont à chaque fois données de façon à montrer l’absurdité du monde. A ce propos, ce qui m’a également marquée, c’est qu’il n’y a pas de morale. Je m’attendais à ce qu’il y en ait une, et j’ai donc été étonnée. Le seul personnage qui se permet de faire la morale tout le temps, c’est la Duchesse, et elle est tournée en dérision par l’auteur.
(D’ailleurs, j’ouvre une petite parenthèse, saviez-vous que la célèbre citation « Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » n’est pas du tout de Lewis Carroll ? Personnellement je viens de l’apprendre en faisant quelques recherches. J’ai lu sur internet que cette phrase a été complètement inventée, et personne ne sait trop d’où elle vient. C’est Clémentine de Beauvais a enquêté sur cette question, et j’ai vraiment été estomaquée de découvrir que c’est une fausse citation… Mais cela paraît logique au niveau de l’interprétation).
La narration et l’écriture
La lecture est accessible à tout le monde, même au lecteur le moins confirmé. Pour ma part, j’ai lu la traduction française de Laurent Bury et j’ai bien accroché.
Au niveau de la narration, j’ai eu l’impression que le narrateur s’adressait à des enfants (tout est extrêmement bien explicité, pour que chaque lecteur puisse tout comprendre, qu’importe son âge). Du coup cela rend la lecture plus facile encore, mais aussi plus drôle et plus pétillante. Le narrateur nous retranscrit les événements ayant lieu, mais aussi et surtout les divagations d’Alice. Cette petite fille est une véritable machine, elle ne s’arrête jamais de parler et de penser. C’est rigolo par moments, car le narrateur (externe) intervient dans l’histoire et ponctue les monologues d’Alice de petites réflexions ironiques. Pourtant il ne se moque jamais, et se contente de lâcher quelques commentaires sarcastiques de temps à autre. J’ai beaucoup aimé, ça rajoutait du piquant au récit.
Ce qui est aussi mémorable, ce sont les jeux de langage des personnages. Ceux-ci jouent beaucoup sur la manière dont les phrases sont dites, et c’était génial. Ça amenait des réflexions inutiles sur la table et ça perdait la pauvre Alice, qui ne savait plus où donner de la tête. Mais au moins, ces jeux ont l’avantage d’être marrants et de nous faire réfléchir sur notre emploi de la langue. Les quelques lignes ci-dessous me plaisent beaucoup, justement pour cette raison :
– En ce cas, tu devrais dire ce que tu penses.
– Mais c’est ce que je fais, répondit Alice vivement. Du moins… du moins… je pense ce que je dis… et c’est la même chose, n’est-ce pas ?
– Mais pas du tout ! s’exclama le Chapelier. C’est comme si tu disais que : “Je vois ce que je mange”, c’est la même chose que : “Je mange ce que je vois !”
– C’est comme si tu disais, reprit le Lièvre de Mars, que : “J’aime ce que j’ai”, c’est la même chose que: “J’ai ce que j’aime !”
– C’est comme si tu disais, ajouta le Loir (qui, semblait-il, parlait tout en dormant), que : “Je respire quand je dors”, c’est la même chose que : “Je dors quand je respire !”
– C’est bien la même chose pour toi , dit le Chapelier au Loir.
Il s’agit d’un extrait tiré du chapitre Un thé de fous. Ce chapitre est mon préféré, je trouve délirant qu’il soit toujours six heures du matin pour le Chapelier, juste parce qu’il s’est brouillé avec le Temps (car oui, dans ce livre, « le Temps est une personne » !)
Autres remarques interprétatives
Je ne pouvais pas parler de ce roman sans faire référence à notre cher Freud 😉 Pour ceux qui n’auraient pas l’histoire d’Alice bien en tête, à la fin du récit nous apprenons que tout ce qu’elle a vécu d’aventures dans le pays des merveilles n’est en fait qu’un rêve. Alice avait tout simplement rêvé sur la berge. Et c’est là que Freud intervient. Je ne vais pas vous inventer des théories farfelues (n’ayez crainte les amis ^^) mais je voulais simplement souligner le rôle que semble jouer l’inconscient dans le récit. Je n’ai pas (encore) de théories sur le sujet, mais je m’interroge quand même : pourquoi a-t-il fallu que toutes ces aventures ne soient qu’un rêve ? Si vous avez une idée, n’hésitez pas à me la communiquer, je suis hyper intéressée !
J’ai déjà fureté sur internet pour voir ce que je pouvais trouver comme analyse de l’œuvre et, outre la notion onirique, je suis tombée sur quelques articles intéressants. Celui qui m’a semblé le plus intéressant est celui du journal Libération : la journaliste résume quelques interprétations marquantes de l’œuvre. Il y a une lecture sur la sexualité féminine : du point de vue psychanalytique, Alice découvre la féminité en entrant dans le pays des merveilles. Il y a aussi une hypothèse sur la drogue, et sur la figure de révoltée que semble incarner Alice (le lien de l’article est ici pour les curieux). Je partage cela avec vous parce que c’est passionnant, toutes les analyses que l’on peut faire d’une même œuvre !
Bref, comme vous l’aurez sans doute compris, Alice au pays des merveilles est un gros coup de cœur. C’est une lecture merveilleuse, dans tous les sens du terme !! Et, contrairement à ce qu’on peut entendre, ce n’est pas un livre seulement destiné aux enfants, il recèle de nombreux contenus cachés. Et c’est notamment pour cette raison que je vous invite à le lire : la lecture est simple, mais tellement riche en même temps !
Si vous avez lu ce chef d’oeuvre (ou vu le film/l’adaptation Disney), je serais curieuse d’avoir votre avis dessus, et de savoir quels sont vos passages préférés !
Waouh j’ai adoré ta chronique!
Pour être tout à fait honnête je n’ai lu que le premier tome, il y a pas mal de temps, et j’étais clairement passive, je n’ai pas cherché à comprendre et je n’ai absolument rien analysé 😅
Mais tu m’as donné envie de me replonger dedans avec plus d’attention 😇
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Merci ❤️
Pour ma part j’ai eu envie d’interpréter ce que je lisais, mais rien n’empêche de lire ce livre en mode « loisir » (après tout, ça reste quand même une lecture permettant de se détendre et de se changer les idées !)
En tout cas si tu t’y replonges n’hésite pas à me donner ton avis, ça m’intéresse 😉
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Merci pour la citation et ton analyse super intéressante qui me donne à mon tour envie de relire cette histoire qui ne ressemble à aucune autre ! Je pense d’ailleurs l’avoir lue trop jeune pour en avoir compris toute la profondeur…
Quant à la citation « Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un », je ne savais pas qu’elle était fausse parce qu’elle représente tellement bien le roman !
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De rien, avec plaisir 🙂 Sans ton article je ne pense pas que j’aurais lu ce petit bijou !
En fait ce qui est super avec ce livre, c’est que tu peux le lire en étant enfant puis en étant adulte, et tu ne poseras pas le même regard dessus. Pour ce qui en est de la fausse citation de Carroll, c’est vrai qu’elle aurait pu bien coller avec le roman, dans un sens. Mais en même temps Lewis Carroll n’a jamais trop voulu donner un sens au monde (sinon il l’aurait fait dans son livre), donc c’est un peu contradictoire qu’Alice propose d’en inventer un je trouve !
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Je trouve aussi les différents niveaux de lecture géniaux et la preuve du caractère classique de ce roman intemporel 🙂
Je ne sais pas trop, je trouve la question complexe et ne suis pas certaine qu’il y ait de vraie réponse. C’est peut-être ça la magie de l’auteur…
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[…] […]
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[…] vous recommande chaudement l’avis de Critiques d’une lectrice assidue sur une œuvre dont j’adore l’univers : Alice au pays des […]
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J’avais beaucoup aimé cette lecture aussi! Et l’adaptation en film était bien réussi et totalement loufoque ^^
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On a le même avis alors 😉 D’ailleurs apparemment Netflix va sortir une adaptation d’Alice au pays des merveilles, je me demande bien ce que ça va donner !
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[…] elle découvrir pas mal de livres, et c’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai lu Alice au pays des merveilles. Et puis Anouk est également une référence pour moi, car on a le même genre de lectures, et je […]
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[…] voudrais vivre dans le pays d’Alice au pays des merveilles, car rien n’a de sens et c’est ce qui rend ce monde si magique. Je pense que je […]
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Bonjour ! Bravo pour votre chronique ! Pour votre lecture psychanalytique, elle est peut-être anachronique : la théorie de l’inconscient a été élaborée par Freud (et d’autres qui sont un peu oubliés – Bauer, Charcot d’une certaine manière) à la fin du XIXe siècle, soit presque 30 ans après l’écriture d’Alice. Mais les contes sont faits pour être lus comme on le souhaite 🙂 Vous pourriez peut-être vous rapprocher des travaux de Deleuze sur le non-sens chez L. Carroll si cela vous intéresse.
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Bonjour et merci ! Alors je n’avais pas du tout fait attention à la chronologie, mais effectivement Freud intervient après le livre de Lewis Carroll… Donc cette précision, qui remet les choses précisément dans leur contexte, me paraît assez pertinente. J’irai jeter un coup d’oeil aux travaux de Deleuze à l’occasion 😀 Merci pour votre passage sur le blog !
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[…] précédent, j’avais répondu que j’aimerais bien prendre la place d’Alice dans le roman de Lewis Carroll. Eh bien mon avis n’a pas changé depuis ^^ Découvrir son monde loufoque me plairait […]
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