Rage against the machisme de Mathilde Larrère

Résumé :

Les femmes ont une histoire de luttes pour leurs droits, conquis, arrachés, défendus. Sur les pas de Louise Michel, de Gisèle Halimi, mais aussi de tant d’autres invisibilisées, comme Pauline Léon, Malika El Fassi, ou encore les colleuses de Stop féminicides, Mathilde Larrère, historienne, retrace les combats féministes de la Révolution française jusqu’au mouvement #MeToo.

À l’histoire, le livre mêle des récits, des documents, des chansons et des slogans, reflétant l’ardeur et la détermination de celles qui n’acceptent pas l’inégalité des sexes, les discriminations, montrant combien elles se tiennent la main au-delà des siècles.

Ce que j’en pense :

Savez-vous que le combat en faveur de l’écriture inclusive date du 17ème siècle ? Que la célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791 d’Olympe de Gouges n’a été intégralement publiée qu’en 1986 ? Qu’encore aujourd’hui 60 à 80% des viols sont jugés au tribunal correctionnel et non aux Assises ?

J’ai découvert tout cela en dévorant Rage against the machisme. D’un ton tantôt ironique, tantôt familier, Mathilde Larrère passe en revue des siècles d’Histoire. Mais pas n’importe quelle histoire, attention : celle de la lutte pour les droits des femmes.

Son constat est simple : le passé s’écrit trop souvent au masculin, occultant toute une partie de la population. Prenons l’exemple des Guerres mondiales, où des monuments aux morts ont été érigés pour les soldats tombés au combat. Les femmes, celles-là même qui travaillaient dans les usines et assuraient l’arrière, n’ont obtenu aucune reconnaissance. Quoi de plus injuste ?

L’historienne part alors de la Révolution française et relate avec brio des siècles de combats pour l’égalité des sexes. L’entreprise est ambitieuse, pourtant Mathilde Larrère relève le défi haut la main : Rage against the machisme est passionnant.

L’historienne nous raconte les trois principales vagues de lutte féministe. La première a lieu à la fin du 19ème siècle, avec Hubertine Auclert et les suffragettes. La deuxième déferle dans les années 1970 ; elle ne saurait être réduite à l’adoption de l’IVG, précise l’autrice. La dernière vague est celle de #Metoo en 2018.

Mathilde Larrère met en perspective tous ces moments clefs en montrant qu’ils s’inscrivent systématiquement dans un contexte révolutionnaire.

Les vagues ne correspondent donc finalement pas à des moments où des femmes « prennent la parole » (ce qu’elles tentent toujours de faire), mais plutôt aux rares moments où l’on daigne les écouter, les entendre – pour assez vite tenter de les faire taire et de les renvoyer aux fourneaux. Les femmes profitent souvent des séquences révolutionnaires qui, généralement, permettent à d’autres voix que celles des dominants de s’exprimer. C’est vrai tout au long du 19ème siècle, mais aussi après 1968.

Les périodes post-révolutionnaires engendrent un désordre propice à l’évolution du droit des femmes. Mais en même temps que l’ordre politique revient, l’ordre des sexes aussi.

L’historienne souligne également que le féminisme peut exclure certaines catégories de personnes, comme les ouvrières, les homosexuelles ou encore les femmes racisées. Si ce mouvement prend du galon au fil des siècles, il a invisibilisé ces femmes.

Or, pour définir le féminisme, il est essentiel de prendre en compte les autres spécificités, comme le statut social ou les origines : c’est ce que l’on appelle l’intersectionnalité. Par conséquent on peut et on doit parler DES luttes féministes, puisque ces dernières ne sont pas uniques.

Etudier ces flux est d’autant plus fascinant que l’essai est documenté. Slogans scandés dans les rues, manifeste des 343 pour l’avortement, citations de féministes aguerries, … Mathilde Larrère ne se contente pas de raconter les faits, elle les illustre avec des preuves concrètes. A titre d’exemple voici mes deux slogans préférés.

« Hystérique n.f. – femme avec une opinion » (slogan en France, 21ème siècle)
« Ce ne sont pas nos jupes qui sont trop courtes mais vos mentalités » (pancarte en France, 24 novembre 2019)

Ces fragments disséminés un peu partout dans l’essai permettent aussi de faire une pause entre deux paragraphes. C’était très appréciable.

J’ai envie de terminer cette chronique en vous partageant un fait historique marquant. Napoléon Bonaparte instaure le Code civil en 1804. Celui-ci établit l’incapacité civile de la femme mariée. Cette dernière est soumise à son époux, c’est-à-dire mise sous sa tutelle.

L’article 324, aussi appelé « article rouge », est sans doute le passage le plus honteux du Code.

Dans le cas d’adultère, […] le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable.

Tuer sa femme prise en flagrant délit d’adultère est donc « excusable »… Inutile de dire que si c’est l’épouse qui est trompée par son mari, les sanctions ne sont pas les mêmes. L’homme reçoit seulement une amende s’il entretient sa maîtresse à domicile, et c’est tout. D’ailleurs, aussi étonnant que cela puisse paraître, cet « article rouge » n’a été supprimé du Code pénal qu’en 1975… Ce qui me paraît très tardif, vous ne trouvez pas ?

Pour conclure, ce petit livre raconte avec pédagogie et humour la grande histoire des femmes françaises. L’autrice structure parfaitement son propos, rendant la lecture fluide et passionnante. Je recommande à 200%.

Je pense me laisser tenter par Les grandes oubliées : pourquoi l’Histoire a effacé les femmes de Titiou Lecoq prochainement. Avez-vous d’autres ouvrages sur les femmes à conseiller ?

22 réflexions sur “Rage against the machisme de Mathilde Larrère

  1. J’ai vu ta lecture passer sur Livraddict et je l’avais ajoutée à ma wish-list pour l’emprunter à la bibliothèque si je le trouve.

    Pour l’anecdote de fin de ton article, je le savais déjà car j’avais étudié ce Code civil sur les bancs de la fac de droit. C’est révoltant.

    En tout cas merci pour ton article car je vais pouvoir approfondir ce sujet 🙂

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    • J’espère que tu le trouveras car il en vaut le détour. N’hésite pas à me redire, ça m’intéresse 😁
      En fait ce qui me méduse dans cet article rouge, c’est qu’il est resté encore inscrit dans la loi après des avancées notables, comme le droit pour la femme d’ouvrir un compte bancaire, l’adoption de l’IVG, … C’est paradoxal dans un sens.
      Avec plaisir !

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      • J’ai regardé et ils ne l’ont pas du tout 😦
        Il est resté inscrit mais plus personne ne l’utilisait, il était complètement obsolète comme l’article sur l’interdiction du port de pantalon par les femmes. C’est juste qu’il n’y avait pas de mise à jour / actualisation.

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  2. Un livre sans doute intéressant et j’aime l’histoire, mais je ne suis pas trop attiré par ce livre. Ah oui ! J’oubliais : je suis un homme ! (rires)

                            Ph

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  3. Mon cœur s’est affolé en lisant cet « article rouge » 🥲 Ca me parait tellement stupide et à la fois peu surprenant de trouver ce genre d’ineptie dans le Code civil. C’est vrai qu’ils ont mis du temps avant de la retirer. Mais est-ce que finalement elle ne faisait pas partie de ces lois anciennes qui restaient inscrites parce que personne ne se penchait sur la question ? Un peu comme pour la loi qui interdisait les femmes de porter des pantalons et qui n’a été retirée qu’en 2013. 😁 Je ne connaissais pas ce livre, et j’avais déjà noté Les grandes oubliées également mais maintenant je peux rajouter celui-ci à ma liste !

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    • Je suis d’accord avec toi, je pense qu’il est resté inscrit dans le Code malgré lui. Je ne pense pas que ce passage était utilisé contre les femmes dans les années 1960-70, par exemple. Mais quand même, il aura eu une longue vie… Et je n’avais pas fait le parallèle avec le port du pantalon mais ça relève de la même logique, effectivement ! Merci pour le partage de cette réflexion pertinente 🙂
      « Les grandes oubliées » a l’air pas mal aussi, en tout cas j’en entends beaucoup de bien !

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