En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut

Résumé :

Sous le regard émerveillé de leur fils, ils dansent sur « Mr. Bojangles » de Nina Simone. Leur amour est magique, vertigineux, une fête perpétuelle. Chez eux, il n’y a de place que pour le plaisir, la fantaisie et les amis.

Celle qui donne le ton, qui mène le bal, c’est la mère, feu follet imprévisible et extravagant. C’est elle qui a adopté le quatrième membre de la famille, Mlle Superfétatoire, un grand oiseau exotique qui déambule dans l’appartement. C’est elle qui n’a de cesse de les entraîner dans un tourbillon de poésie et de chimères.

Un jour, pourtant, elle va trop loin. Et père et fils feront tout pour éviter l’inéluctable, pour que la fête continue, coûte que coûte.

L’amour fou n’a jamais aussi bien porté son nom.

Ce que j’en pense :

Comment débuter cette chronique ? Dois-je d’abord vous citer l’épigraphe, qui m’a énormément plu, ou alors vous parler de la rencontre entre les deux amoureux, point de départ de cette histoire rocambolesque ? A moins que je n’évoque tout de suite la plume magnifique d’Olivier Bourdeaut. Cela fait maintenant une demi-heure que je tergiverse, assise face à mon ordinateur. Pour tout vous dire, j’ai hésité à écrire cet article. Ce roman est tellement fort et bien écrit que je ne me sens pas à la hauteur. J’ai peur de ne pas réussir à trouver les mots justes. Mais j’essaie de relever le défi ! J’espère que cette chronique vous donnera envie de courir emprunter ce livre à la bibliothèque ou, le cas échéant, de l’acheter pour le lire le plus tôt possible. Car le récit, savamment mené, est à la fois drôle, émouvant et terriblement tragique. Un pur délice.

(Avant d’entrer dans le vif du sujet, je me dois de vous prévenir : En attendant Bojangles est un roman assez court, alors si vous souhaitez avoir la pleine surprise lors de votre lecture, je vous déconseille de lire ce qui suit. Ma chronique ne contient aucun spoilers mais elle est un peu détaillée.)

« Une fête perpétuelle »

Des festivités interminables, un château en Espagne, des cocktails à toutes les heures de la journée. Tel est le quotidien délirant de cette famille, qui baigne dans un bonheur presque surnaturel. Cette histoire nous est racontée par l’enfant du couple d’amoureux, qui a été élevé dans cette insouciance bienheureuse.

Dans cette famille, ça fait longtemps qu’on a arrêté de trier le courrier et de payer les impôts. A la place, on préfère courir des sprints dans le couloir de l’appartement avec Mlle Superfétatoire. Celle-ci est un oiseau exotique ramené d’un voyage, et elle porte bien son nom : elle ne sert au final pas à grand-chose dans l’intrigue. Cet animal est sans nul doute le personnage qui m’a le plus marquée.

Ce récit est donc celui d’un couple et de leur fils. (Et celle de Mlle Superfétatoire, bien sûr !). Ils vivent en dehors des règles, dans une ambiance magique. Sauf que toutes les belles histoires ont une fin… La maman, qui mène la danse et instille sa joie de vivre dans le foyer, va peu à peu perdre la raison. C’est de là que vient l’épigraphe, signé Charles Bukowski :

Certains ne deviennent jamais fous… Leurs vies doivent être bien ennuyeuses.

Mais, avant d’évoquer la fin de cette belle histoire, parlons d’abord de son point de départ : la rencontre amoureuse entre les deux protagonistes.

« L’amour fou n’a jamais aussi bien porté son nom »

Ce roman met en scène un coup de foudre, une rencontre entre deux êtres qui se sont aimés dès le premier regard. Voici ce qu’écrit Georges, le papa, des années après leur rencontre :

Le temps d’un cocktail, d’un danse, une femme folle et chapeautée d’ailes, m’avait rendu fou d’elle en m’invitant à partager sa démence.

Cette phrase poétique a résonné au fond de moi, je l’ai trouvée magnifique. Plus largement, j’ai adoré découvrir comment ces deux protagonistes se sont rencontrés. L’amour qu’ils se portent est par ailleurs symbolisé par une chanson de Nina Simone, qui donne son titre au roman : « En attendant Bojangles ». Je ne connaissais pas du tout cette chanson, mais j’ai été ravie de la découvrir. Sa douce mélancolie colle totalement à l’histoire, j’ai été transportée. Ce sont ainsi les pas de danse du couple qui rythment ce roman. J’ai d’ailleurs eu l’impression que la danse s’accélérait, au fil des pages, comme pour contrer l’inévitable…

Des personnages dansants

En rédigeant cette chronique, je me suis rendu compte qu’on ne connaissait pas le nom de tous les personnages principaux. Le narrateur, c’est-à-dire l’enfant du couple, n’est pas nommé. Sa mère, elle, se voit affabulée d’un nouveau prénom tous les jours. Louise, Renée, Georgette, … A chaque jour une nouvelle identité. C’est son mari, Georges (l’un des seuls personnages dont on connaît le prénom) qui a instauré cette fantaisie.

L’identité des protagonistes est floue, dansante. Les personnages virevoltent, légers, sans qu’on arrive à saisir leur essence. Ils nous échappent, en somme. C’est tout en cas l’impression que j’ai eue tout au long de ma lecture. C’était comme une sensation d’irréalité. Étrange, n’est-ce pas ?

Ce qui ajoute une touche encore plus décalée au récit, c’est la façon dont il est raconté.

Une narration enfantine

Comme je l’ai écrit au début de ma chronique, c’est le fils du couple qui raconte l’histoire. Son témoignage est parfois entrecoupé avec celui, plus bref, de son papa, mais ce sont majoritairement avec ses yeux d’enfant que l’on se plonge dans le récit.

Sa naïveté m’a fait sourire à de nombreuses reprises, c’était charmant. En voici un exemple :

Sur le mur, était accroché un poster de Claude François en costume de pacotille, que Papa avait transformé en cible à fléchettes avec un compas, parce qu’il trouvait qu’il chantait comme une casserole, mais dieu merci, disait-il, EDF avait mis fin à tout ça, sans que je comprenne ni comment, ni pourquoi. Parfois, y avait pas à dire, il était dur à comprendre.

Cet humour est présent tout au long du livre, pour mon plus grand plaisir. C’était chouette d’avoir d’un côté le regard adulte du papa, et de l’autre le regard d’un enfant, qui ne comprend pas tout ce qu’il se passe.

Le narrateur est d’ailleurs parfaitement heureux avec ses parents, bien que ceux-ci le négligent parfois. Je pense qu’on pourrait même parler de maltraitance, quand sa maman oublie de lui préparer à manger le soir, par exemple. Et ce qui m’a justement marquée, c’est sa joie et son admiration pour ses géniteurs. « Comment les autres enfants font pour vivre sans mes parents ? », se demande-t-il plusieurs fois. Sa candeur est touchante. Il entretient en outre une relation assez particulière avec sa maman, qui ne le considère non pas comme son fils, mais comme un personnage de roman :

Elle ne me traitait ni en adulte, ni en enfant mais plutôt comme un personnage de roman. Un roman qu’elle aimait beaucoup et tendrement et dans lequel elle se plongeait à tout instant. Elle ne voulait entendre parler ni de tracas, ni de tristesse.
– Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver.

La vie est un roman

Pour la maman, la vie n’est qu’un roman dont il faut écrire chaque page. J’ai trouvé qu’elle mettait en scène la réalité, notamment vers la fin du roman. Je ne peux pas vous en révéler davantage sans vous divulgâcher la lecture, ce qui est bien dommage. Si vous avez lu ce roman, je serais ravie d’en parler avec vous dans les commentaires 🙂

En effet, il y a quelque chose de romanesque dans le personnage de la maman qui m’a marquée. C’est comme si sa folie, son imagination étaient une façon de se protéger de la dure réalité. J’ai eu l’impression qu’elle vivait dans le mensonge et, une fois que le réel l’a rattrapée, il était impossible de revenir en arrière. C’est en tout cas mon interprétation personnelle.

Ce moment de bascule, celui où l’illusion se brise, est assez frappant. Je l’ai trouvé parfaitement résumé dans ce passage, extrait des carnets du papa :

Ce compte à rebours, qu’au fil des jours heureux, j’avais oublié de surveiller, venait de se mettre à sonner comme un réveil malheureux et détraqué, comme une alarme qui fait saigner les tympans avec son incessant vacarme, un bruit barbare qui nous dit qu’il faut fuir maintenant, que la fête vient de se finir brutalement.

C’est à partir de cet instant que tout part en cacahouète. La maman devient folle, plus folle qu’elle ne l’était déjà. La raison lui échappe. Sa souffrance est émouvante, de même que celle du papa, qui essaie de protéger son fils. Cette désillusion destructrice pour les personnages m’a prise aux tripes.

C’est d’ailleurs en lisant les cinquante dernières pages que ce livre est officiellement devenu un coup de cœur. Ma gorge s’est serrée à de multiples reprises, tellement c’était riche en émotions. J’étais triste pour les personnages mais, en même temps, j’avais le sourire. C’était à la fois beau et mélancolique.

Cette histoire, en apparence pleine de légèreté, traite ainsi avec douceur et poésie du thème de la maladie mentale. J’ai été emportée dans la vie tourbillonnante de cette famille atypique. Je vous recommande ce livre à 200% ! Si vous souhaitez en savoir plus sur l’auteur ou la rédaction de ce roman, je vous invite à lire cet article de Télérama, que j’ai trouvé assez intéressant à découvrir.

Et vous, avez-vous lu ce roman ? Ou peut-être avez-vous vu le film, avec Virginie Efira et Romain Duris ?

19 réflexions sur “En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut

  1. C’est parfois tellement difficile d’écrire une chronique sur un livre qu’on a adoré, on aimerait en dire tellement de choses, en faire ressortir toute la puissance, et les mots nous manque. 😁 Je ne connaissais pas Nina Simone mais du coup, j’ai écouté la chanson en lisant ta chronique, c’est doux et mélancolique à la fois. C’est surprenant ce changement d’identité pour la maman, ça n’a pas été trop difficile de saisir de quel personnage il était question à chaque fois ? En tout cas, tu sembles vraiment avoir passé un sacré moment avec ce livre, merci pour la découverte. 😊

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    • Tu résumes totalement mon ressenti sur la difficulté de chroniquer un livre qu’on a adoré !
      Pour la maman, le changement d’identité n’était pas du tout problématique pour la compréhension de l’histoire. En fait l’histoire se déroule à huis-clos, avec Mlle Superfétatoire (l’oiseau exotique), le petit garçon, le papa, l’un de ses amis et la maman. Donc le nombre de personnages était très réduit. Et les différents prénoms de la maman étaient évoqués à plusieurs reprises, mais ça ne prenait pas non plus une très grande place dans le récit. Donc ça allait ^^
      De rien, j’espère que tu auras envie de découvrir ce roman à ton tour, il en vaut la peine 😉

      Aimé par 1 personne

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