Soleil amer de Lilia Hassaine

Résumé :

À la fin des années 50, dans la région de l’Aurès en Algérie, Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler en France.

Quelques années plus tard, devenu ouvrier spécialisé, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Naja tombe enceinte, mais leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d’envisager de garder l’enfant…

Avec ce second roman, Lilia Hassaine aborde la question de l’intégration des populations algériennes dans la société française entre le début des années 60 et la fin des années 80. De l’âge d’or des cités HLM à leur abandon progressif, c’est une période charnière qu’elle dépeint d’un trait. Une histoire intense, portée par des personnages féminins flamboyants.

Ce que j’en pense :

J’avais hâte de retrouver la plume de Lilia Hassaine après ma découverte émouvante de L’œil du paon fin 2021. C’est maintenant chose faite avec Soleil amer, qui a été une belle surprise. Rien que le titre, faisant référence à un vers du « Bateau ivre » de Rimbaud, m’a charmée.

L’histoire prend place à Paris, au début des années 1960. Saïd habite en Algérie avec sa femme Naja et ses trois filles, Maryam, Sonia et Nour. En 1959, il est recruté comme ouvrier en France. Il quitte alors son Algérie natale. Et, quelques années plus tard, sa femme et ses filles le rejoignent à Paris. Une nouvelle vie débute.

Malheureusement, les espoirs de la famille se heurtent très tôt à la dure réalité.

Mais très vite, [Naja] avait déchanté. […] Surtout, son mari n’était plus le même. Il avait vieilli brutalement, ses yeux avaient changé de couleur tant ils étaient devenus ternes et tristes. C’était la conséquence d’années de travail à la chaîne, dans les ateliers d’emboutissage de l’usine. […] Considérés comme de simples outils de travail, ces hommes avaient été coupés de leur famille et des plaisirs de la vie. Ils étaient nombreux à avoir sombré dans l’alcool.

Soleil amer est ainsi le récit d’une désillusion. Il s’agit d’une fiction, pourtant l’histoire est empreinte de véracité. Lilia Hassaine aborde avec brio la question de l’intégration des populations algériennes en France. L’histoire balaye toute une époque, du début des années 1960 à la fin des années 1980.

Il s’agit plus de fragments de vie que d’un récit construit de A à Z. En effet, chaque paragraphe raconte chronologiquement des instants de la vie des protagonistes.

En outre, ce roman ressemble très fortement à une chronique historique. Le style est neutre, impersonnel. Car tout en racontant l’histoire des personnages, l’auteure nous parle du contexte historique.

Mai 68, la prospérité des HLM puis leur déclin avec l’arrivée au pouvoir de Giscard d’Estaing sont évoqués. Je me souviens particulièrement du focus fait sur le massacre du 17 octobre 1961. Des Algériens ont défilé pacifiquement à Paris, dans le calme absolu. Pourtant la police française a réprimé cette manifestation dans la violence et le sang. Des exécutions ont d’ailleurs eu lieu.

Dans Soleil amer, Saïd se remémore ce massacre qui l’a profondément secoué.

Aucun journaliste, aucun photographe n’avait raconté cette nuit d’horreur, les cadavres et les agonisants, les injures hurlantes, sales bicots, la couleur blanche des lampes de la police, lumières qui tranchaient la nuit, et la haine, plus tranchante encore. La mort s’était invitée à Paris, elle courait dans les caniveaux, elle flottait sur le fleuve. De cette nuit-là, même entre immigrés, on ne voulait plus parler.

Ce passage-là m’a vraiment émue… D’autant plus que ce pan de l’histoire française reste peu connu et médiatisé.

Ce qui m’a également marquée dans ce roman, c’est l’ambivalence des personnages. Ils sont déchirés entre deux pays : l’Algérie, terre natale et la France, terre d’accueil.

D’un côté [Saïd] se disait fier de ses origines et de sa culture, de l’autre il espérait se fondre dans le paysage français. D’un côté il désirait rentrer au bled, de l’autre il rêvait que ses enfants s’intègrent. Il oscillait entre deux pays, entre deux projets, et élevait ses enfants dans la même dualité. La dualité comme identité, c’était déjà une contradiction, il n’existait pas de mot pour dire « un et deux » à la fois.

Cette double identité m’a rappelée celle de Leïla Slimani. Dans Le parfum des fleurs la nuit elle évoque justement cet écartèlement. « On est d’ici et puis d’ailleurs », résume-t-elle finalement. Ce propos pourrait correspondre aux personnages de Soleil amer. Parmi eux, Nour, l’une des filles de Naja et Saïd, m’a touchée.

Nour a vécu en Algérie, mais elle était encore jeune quand elle est arrivée en France. Elle apprend ainsi le français à l’école et s’intègre dans la société. Tout au long du roman, il nous est montré combien son identité française la met en rage. Elle qui connaît mal l’Algérie, ne parle pas un mot d’arabe, en veut à la France de faire sans cesse travailler son père et de laisser sa mère croupir dans un HLM. Sa rancoeur, décuplée au fil des années, m’a vraiment fait réfléchir.

Généralement, ce sont les protagonistes qui donnent vie à l’histoire. Et c’est particulièrement le cas dans ce roman. Naja, Eve, Nora, Nour, Sonia, Maryam sont autant de personnages féminins qui accompagnent notre lecture. On s’attache à elles, on souffre avec elles, on réfléchit grâce à elles. Bref, ce roman se caractérise, selon moi, par sa féminité.

Lilia Hassaine nous parle, à travers ses personnages, des règles, du mariage et de la maternité, toutes ces étapes qui jalonnent la vie d’une femme. C’était plutôt réussi et j’ai adoré avoir plusieurs points de vue sur ces questions. C’était d’autant plus intéressant qu’à l’époque les femmes n’étaient pas aussi libres qu’aujourd’hui. Par exemple Maryam tente de se soustraire à un mariage forcé. Sa sœur Sonia essaie quant à elle d’échapper à la puberté et à sa destinée.

On retrouve également dans ce petit livre des réflexions touchantes sur l’art et l’être humain. Tout comme dans L’œil du paon, une certaine mélancolie se dégage de ces passages, et du roman en entier. De celui-ci je retiendrai les personnages, hauts en couleur, et l’ambivalence de leur parcours. Leur arrivée en France, symbole d’espoir et d’une vie meilleure, leur laisse un souvenir acide.

Avez-vous déjà découvert Panorama, la dernière parution de Lilia Hassaine ?

11 réflexions sur “Soleil amer de Lilia Hassaine

  1. Pile quand je dis à la fin de mon message sur Livraddict qu’il faut que j’aille faire un tour sur ton blog je vois sur le feed Livraddict que tu as partagé une chronique, timing parfait !
    Ta chronique est super sympa, je ne connaissais pas ce livre mais les sujets abordés m’ont l’air très intéressants et riches de contenus. C’est typiquement le genre de livres qui fait réfléchir, qui questionne, qui nous insurge et qui nous énerve parfois. En tout cas je suis ravie que cette lecture t’ait plue 🙂

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    • J’ai vu que tu m’avais envoyé un message, j’y réponds dès que j’ai un peu plus de temps 😉
      Tu as totalement raison ! Cette histoire n’est pas là juste pour nous divertir, on y apprend des choses. Et on est amené à nous interroger sur le passé de la France ^^

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  2. Je n’ai jamais lu Lilia Hassaine mais je me souviens que c’est justement ton retour sur L’œil du paon qui m’avait fait découvrir qu’elle était aussi auteure en plus de sa carrière de journaliste/chroniqueuse. D’ailleurs j’aimerai bien découvrir L’œil du paon un jour (grâce à toi). Celui-ci a l’air poignant, et malgré la dureté de certains faits (comme le massacre du 17 octobre 1961, que je ne connaissais pas) j’ai le sentiment que la plume de Lilia Hassaine est douce, presque poétique. Je te remercie pour cette belle idée de lecture encore une fois !

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    • Je me rappelle effectivement avoir eu un échange avec toi à propos de Lilia Hassaine 🙂
      Et je suis ravie de t’avoir donné envie de découvrir cette auteure ^^
      Ton impression est juste, la plume est vraiment charmante et remplie de poésie, que ce soit dans Soleil amer ou dans L’œil du paon. Du coup je t’encourage vivement à lire un de ces livres, et j’espère que cela te plaira !

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