Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig

couv46834288 Résumé :

« C’est une morte qui te raconte sa vie, sa vie qui a été à toi, de sa première à sa dernière heure de conscience. N’aie pas peur de mes paroles : une morte ne réclame plus rien ; elle ne réclame ni amour, ni compassion, ni consolation. »

Un amour total, passionnel, désintéressé, tapi dans l’ombre, n’attendant rien en retour que de pouvoir le confesser. Une blessure vive, la perte d’un enfant, symbole de cet amour que le temps n’a su effacer ni entamer. Une déclaration fanatique, fiévreuse, pleine de tendresse et de folie. La voix d’une femme qui se meurt doucement, sans s’apitoyer sur elle-même, tout entière tournée vers celui qu’elle admire plus que tout. Avec Lettre d’une inconnue Stefan Zweig pousse plus loin encore l’analyse du sentiment amoureux et de ses ravages, en nous offrant un cri déchirant d’une profonde humanité. Ici nulle confusion des sentiments : la passion est absolue, sans concession, si pure qu’elle touche au sublime.

Ce que j’en pense :

Ce n’est pas dans mes habitudes de lire des romans épistolaires. J’ai pourtant été tentée par ce texte de Stefan Zweig. Je connaissais l’auteur de nom pour avoir écrit Les 24h de la vie d’une femme, et j’ai eu envie de le découvrir, d’autant plus qu’il est assez célèbre comme artiste du XXème siècle. On m’avait justement prêté Lettre d’une inconnue et, le récit me paraissant accessible, je m’y suis lancée dans trop d’hésitation. Au final j’ai adoré, bien que l’histoire m’ait laissée perplexe au début. A vrai dire, j’ai commencé ma lecture sans lire de résumé précis… Et le comportement de l’inconnue m’a étonnée : je me suis posée une tonne de questions sur son obsession.

Cette chronique ne donne pas beaucoup de détails sur l’histoire en elle-même, et c’est voulu : si vous voulez lire ce livre je vous conseille de ne pas regarder de résumés trop précis sur internet ; l’histoire n’en sera que plus surprenante.

Une lettre d’amour passionnante du point de vue de la forme et du style

« Ce n’est que quand je serai morte que tu recevras ce testament, testament d’une femme qui t’a plus aimé que toutes les autres, et que tu n’as jamais reconnue, d’une femme qui n’a cessé de t’attendre et que tu n’as jamais appelée. Peut-être, peut-être m’appelleras-tu, et je te serai infidèle, pour la première fois, puisque, dans ma tombe, je n’entendrai pas ton appel. »

J’adore cet extrait, tant par sa poésie que par son propos. Ici l’inconnue ouvre son cœur, et c’est bouleversant. J’ai d’ailleurs bien accroché avec la forme épistolaire : j’ai eu l’impression d’être au côté de l’homme qui ouvre la lettre de l’inconnue et d’être impliquée dans l’histoire. Par le biais de la situation d’énonciation, on a effectivement un lien direct avec les personnages et ça m’a plu. L’auteure de la lettre parle donc à l’homme avec la deuxième personne du singulier, et ça ne rend l’histoire que plus vivante et intimiste. Si le texte n’était pas écrit sous forme de lettres il aurait été moins intéressant à lire.

J’ai donc été entraînée dès le début dans l’histoire. J’ai particulièrement apprécié le dynamisme du récit. Stefan Zweig ne nous fait pas crouler sous les détails. Il y a beaucoup de sommaires, c’est-à-dire des morceaux du récit résumés, pour donner un coup d’accélérateur à l’histoire. L’auteur laisse aussi planer une part de mystère. Par exemple j’aurais bien aimé connaître le nom de l’enfant de l’inconnue, mais il ne nous est pas donné et j’ai trouvé ça frustrant…

Certains passages comme celui ci-dessous me rendent de plus curieuse. Je me suis demandée comment l’homme pouvait être aussi indifférent, alors qu’il a manifestement donné un enfant à cette troublante inconnue :

Mon enfant est mort, notre enfant.
À présent, je n’ai plus personne au monde, personne à aimer que toi. Mais qu’es-tu pour moi, toi qui jamais ne me reconnais, toi qui passes à côté de moi comme on passe au bord de l’eau, toi qui marches sur moi comme sur une pierre, toi qui toujours vas, qui toujours poursuis ta route et me laisses dans l’attente éternelle ?

Un chronotope qui m’a laissé une drôle d’impression

On a quelques informations sur le chronotope : on sait que l’histoire se passe vraisemblablement dans le Viennes de l’entre-deux-guerres. Ça, ce sont les données factuelles.

Mais j’ai eu une sensation bizarre. La narratrice, c’est à dire l’inconnue de la lettre, parle d’amour comme d’une chose qui traverse les années. J’ai ainsi eu l’impression que l’histoire se situait hors du temps et même hors de l’espace : elle pense toujours à l’être aimé, même quand il est loin d’elle. Donc c’est comme si le récit, la vie des personnages, s’étaient affranchis du temps et de l’espace pour devenir quelque chose d’universel et d’intemporel. Vous voyez l’idée ? C’est en tout cas ce que j’ai senti durant ma lecture. Il y a l’idée que l’histoire se situe dans une autre réalité, bien qu’il y ait un ancrage historique (l’enfant serait mort de la grippe, en référence à la grippe espagnole, par exemple).

Une lettre passionnée

Ce qui m’a le plus marquée dans cette lecture, ce sont les émotions éprouvées par la narratrice. C’est un texte puissant qui a résonné au fond de moi. Ici, les mots ont du pouvoir.

La lettre est passionnée parce que, comme vous l’aurez compris, c’est le cri d’amour d’une femme envers un homme qui ne l’a jamais reconnue (alors que pourtant ils se croisent plusieurs fois, et qu’il aurait dû retenir son visage). Je reste assez mitigée concernant le personnage de la femme ; on ne sait que peu de choses d’elle au final et ça m’a rendue sceptique.

Par contre j’ai adoré l’effet de mise en abîme présent dans toute la lettre : au lieu de se décrire elle-même, la narratrice fait l’autoportrait de l’homme aimé avec une justesse remarquable. J’ai bien aimé la dualité présente dans l’homme, qui est à la fois insouciant et sérieux. Et effectivement j’avais l’impression que la femme le connaissait mieux que lui-même ; ça en devenait limite effrayant.

Ce que j’ai également adoré dans cette lecture, c’est l’opposition entre l’inconnue qui voue un culte à l’homme et celui-ci, qui la connaît en théorie mais la reconnaît pas. Ce jeu sémantique autour des mots connaître, reconnaître et inconnu est un coup de maître.

Une autre chose qui rend cette lecture passionnante, ce sont les répétitions. La narratrice dit plusieurs fois certaines phrases comme celle-ci : »tu ne me reconnus pas » et ça instaurait un rythme plaisant, c’était comme une sorte d’incantation :

« Tu ne me recon­nus pas, ni alors, ni jamais : jamais tu ne m’as recon­nue. Com­ment, ô mon bien-aimé, te décrire la dés­illu­sion que j’éprouvais en cette seconde ? Je subis­sais alors pour la pre­mière fois cette fatale dou­leur de ne pas être recon­nue par toi, cette fatale dou­leur qui m’a sui­vie toute ma vie et avec laquelle je meurs : res­ter incon­nue, res­ter tou­jours incon­nue de toi. […] Dans mes heures les plus noires, dans la conscience la plus pro­fonde de mon insi­gni­fiance, je n’avais pas même osé envi­sa­ger cette éven­tua­lité, la plus épou­van­table de toutes ; que tu n’avais même pas porté la moindre atten­tion à mon existence. »

J’ai malgré tout trouvé que cette passion allait trop loin. Je ne qualifierais même plus ces sentiments d’amour, mais plutôt de maladie obsessionnelle. Au début j’étais assez perplexe mais au fil de ma lecture j’ai fini par m’habituer. La narratrice ne vit que pour et à travers l’homme ; son amour est sublimé, en quelque sorte. Ça me fait un peu penser à Roméo et Juliette, là aussi l’amour dans tout son excès est représenté…

En conclusion, Lettre d’une inconnue est une lettre magnifique, une véritable ode à l’amour. C’est le cri d’amour d’une femme oubliée de l’homme qu’elle aime. Et même si l’ambiance est mystérieuse voire étrange, la lettre est facile à lire : elle est à la portée de tous. Je vous la conseille si vous voulez être embarqué dans une histoire d’amour pas comme les autres, où l’accent est davantage mis sur les sentiments que sur la romance et le charnel.

Un gros coup de coeur pour ce livre

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